Je n’ai évidemment jamais lu « La distinction » de Pierre Bourdieu. Évidemment car je ne goûte guère les essais, et que j’ai toujours été plus scientifique que littéraire… mais le sujet m’intéresse et ce que j’en connais me parle et me questionne. Il ne s’agit bien sûr pas d’une adaptation (on n’adapte mais en BD un essai de 600 pages) mais bien d’une libre adaptation à vue de vulgarisation.
Notre point de départ, c’est un jeune prof de socio, nommé dans une lycée de banlieue. Il veux faire découvrir à ses élèves les principes que Bourdieu étudie dans « La distinction », c’est à dire la relation entre goûts et classes sociales. Notre professeur est lui-même originaire du milieu agricole, et partage une coloc avec un jeune bourgeois. Il pourra donc interroger ses proches, mais aussi convaincre ses élèves de faire de même.
Ce que Bourdieu, et ce que cette BD montre, c’est que nos goûts sont des expressions de notre appartenance à une classe sociale. Contrairement à l’adage populaire, tous les goûts ne sont pas dans la nature. On pourrait aussi préciser qu’il n’y a pas de goûts ni meilleurs ni plus légitimes que d’autres. Ils sont les résultats de nos pratiques de vie (de notre consommation, à notre vie de famille et à nos loisirs), et ces pratiques de vie sont évidemment le résultat de notre appartenance à une classe sociale, de notre dotation en capital tant économique que culturel.
Le petit-bourgeois est un prolétaire que se fait petit pour devenir bourgeois.
Tout cela nous donne une galerie de personnages très divers. Tiphaine Rivière arrive à en faire des portraits justes et à éviter la caricature. Cette lecture m’a permis de mettre des mots sur des notions que je pressentais intuitivement, comme la notion de goût de nécessité qui peut amener les classes populaires à préférer la fonction à la forme. Ce qui est illustré clairement, voire violemment (mais c’est une violence bienvenue), c’est que nous sommes tous les pantins de rapports sociaux bien plus profondément qu’on ne voudrait l’admettre. C’est tout l’intérêt de cette BD, nous dessiller en même temps que ces lycéens le sont par leur jeune professeur.